11. Jésus est cloué sur la croix


Table des matières

 

Partie 1. Sieger Köder : une découverte, une démarche

Partie 2. Le Chemin de croix, selon Sieger Köder

  1. Jésus est condamné à mort
  2. Jésus est chargé de sa croix
  3. Jésus tombe pour la première fois
  4. Jésus rencontre sa mère
  5. Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix
  6. Véronique essuie le visage de Jésus
  7. Jésus tombe pour la deuxième fois
  8. Jésus rencontre les femmes de Jérusalem
  9. Jésus tombe pour la troisième fois
  10. Jésus est dépouillé de ses vêtements
  11. Jésus est cloué sur la croix
  12. Jésus meurt sur la croix
  13. a) Jésus est détaché de la croix…
    b) … et son corps est rendu à sa mère
  14. Le corps de Jésus est mis au tombeau

 

Le Chemin de croix, selon Sieger Köder

 

11. Jésus est cloué sur la croix

 

C’était la troisième heure
quand ils le crucifièrent.
Mc 15, 25

« Le Golgotha ou mont du Calvaire, nommé aussi « Lieu du Crâne », était une colline située dans l’Antiquité à l’extérieur de Jérusalem, sur laquelle les Romains attachaient les condamnés à mort sur une crux commissa, en forme de T. Il est connu pour être le lieu où Jésus a été exécuté, d’après les évangiles. »

(Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Golgotha )

« […] la forme la plus commune utilisée par les Romains était la crux commissa, croix de Tau [tau, lettre de l’alphabet grec], formée comme notre T. Le patibulum [partie transversale de la croix] était dans ce cas placé dans une entaille en haut du poteau. »

(https://fr.glosbe.com/fr/fr/crux%20commissa,
page visitée le 25 janvier 2022)

Source : https://www.alamy.com/jesus-is-given-his-cross-2nd-stations-of-the-cross-by-sieger-koder-in-st-stephens-church-in-wasseralfingen-germany-image350594900.html

 

Dans son désir de racheter les pécheurs, Jésus s’est rabaissé au niveau d’un moins que rien. Il est tombé si bas qu’il est sorti de l’image! Sieger Köder l’a placé dans la seconde partie, invisible, du diptyque : en bas, hors champ. Plus personne ne peut le représenter. Ni avocat ni peintre.

En ce midi de l’instant, le soleil sur terre est noir comme ce poteau de torture vu de dessus et dont les curieux s’écartent. C’est l’éclipse.

 

Ouvrir l’image dans un nouvel onglet pour placer le commentaire en parallèle.

 

À ma connaissance, personne avant Sieger Köder n’a eu l’audace de représenter de manière aussi radicale (vue de dessus, en plongée, du zénith) le stauros, ou poteau vertical planté dans le sol, à l’heure où les soldats se préparaient à y accrocher la poutre transversale (le patibulum) qui, une fois posée, donnerait à l’ensemble, vu de face, la forme d’une croix.

Au cinéma, la vue en plongée sert à rabaisser un personnage, à le montrer dans sa vulnérabilité. Le point de vue qu’adopte ici le peintre — une plongée à 180° — écrase au maximum le théâtre où se jouera la mort ignominieuse du « roi des Juifs ». Dispositifs picturaux aggravants, Köder place Jésus non seulement hors champ, mais plus bas encore que le bas de l’image. Pire : le marteau levé suggère que le soldat tape dessus, qu’il l’aplatit comme du fer sur l’enclume. Comment un peintre pourrait-il mieux dépeindre un antihéros?

Voici l’heure où le soldat exécute les ordres. Celle où le supplicié n’est plus représentable par personne, pas même par un peintre du talent de Sieger Köder. Autour du poteau infamant, le vide s’est fait, de même, on le présume, qu’autour de Jésus, hors cadre. Sur terre, le pieu usurpe la place du soleil à midi, soleil noir cerné d’un halo : éclipse. À partir de midi jusqu’à trois heures de l’après-midi, « l’obscurité se fit sur la terre entière » (Mt 27, 45; Mc 15, 33; Lc 23, 44).

La poutre que Jésus a traînée à grand-peine au sommet du Golgotha, un soldat (en armure!) y fixe à grands coups de marteau les poignets du « dangereux » innocent. Suspendu par les os à deux clous, Jésus est ensuite hissé sans ménagement au sommet du poteau jusqu’à l’entaille où s’emboîte la traverse. Les bras tendus par son propre poids, Jésus va lentement suffoquer.

Sieger Köder a divisé le groupe qui fait cercle autour du poteau en deux parts : les figures peintes à l’endroit, en bas, et celles peintes à l’envers, en haut. Examinons d’abord celles du bas.

 

Les figures peintes à l’endroit

Les bourreaux exécutent leur charge à visage couvert. Köder dépasse l’usage ici puisqu’il ne montre du soldat chargé de clouer Jésus que le dessus de son casque, lequel répond en droite ligne, verticale, à la tête du poteau de torture, au-dessus dans l’image, mêmement centrée, pareillement anonyme, instrumentale. Entre les deux, un observateur qui se tient le menton, dubitatif.

Qu’est-ce que le barbu voilé de rouge peut bien lui chuchoter? Lui confie-t-il qu’il ne croit pas que Jésus était le Christ ou est-il en train de lui proposer un marché? Je lui trouve l’air louche d’un conspirateur. Tapi derrière lui, son complice ou un homme de main (on voit son poing) se tient tout près du conspirateur, attentif à ce qu’il chuchote, n’attendant qu’un mot de sa part. Sa coiffe est grise comme ses intentions. Chose certaine, le personnage en vert, au centre, réfléchit à ce que son voisin lui susurre en aparté; il n’a visiblement pas pris sa décision. Derrière lui à sa droite, un barbu voilé de bleu ne s’occupe ni de lui ni de l’intrigue. Il semble avoir autre chose en tête : le spectacle de la douleur infligée à Jésus. La balafre qu’il porte à la joue montre qu’il pourrait, d’expérience, compatir à sa douleur.

Vis-à-vis du marteau levé au-dessus de la tête du balafré, on trouve sur le côté droit de l’image une tête qui, dans cette couronne de têtes d’hommes, détonne absolument : celle d’un gros ruminant. Qu’on ne se méprenne pas. Il ne s’agit pas du paisible bœuf qui, selon la tradition, se trouvait dans la crèche à la naissance de Jésus. C’est un taureau de combat (on le reconnaît à ses cornes pointues, recourbées vers l’avant). Köder a-t-il fait le choix d’un nouvel anachronisme? Un taureau de corrida dont la tête est mise à prix (trente deniers) et qui n’a de raison d’être ici que par sa mise à mort? Le toréro pique le taureau dans l’arène jusqu’à lui percer le cœur d’un coup de lame fatal de la même façon que le soldat troue les avant-bras de Jésus comme il percera son côté pour vérifier sa mort.

Le triangle sacrificiel que Sieger Köder a imaginé, il faut le lire à l’envers : tête du soldat, marteau, taureau. Dans l’ordre : la volonté, l’instrument, la victime. Jésus sera sacrifié en holocauste.

Retournons maintenant le haut du tableau à l’envers pour y examiner les personnages à notre aise.

 

Les figures peintes à l’envers

Le premier homme (à gauche) crie de désespoir et pleure, mais c’est le seul; le deuxième ne veut rien voir : il a rabattu son voile sur les yeux; le troisième lève les yeux franchement et semble crier : « Sauve-toi toi-même, descends de la croix! » (Mc 15, 30); le quatrième se contente de suivre la scène avec attention, il a comme son voisin le front chenu de quelqu’un qui en a vu d’autres; le type au voile vert lève le pouce de la main droite pour dire : « Je suis d’accord! » et en même temps, quand on regarde le tableau à l’endroit — c’est l’astuce de Sieger Köder — il l’abaisse, ce qui, dans le cirque romain, voulait dire : « À mort, le vaincu! »;

Détail des deux visages illustrés derrière le marteau :

le sixième visage (à gauche dans le détail), particulièrement brouillon, pourrait être celui d’un jeune homme; faisant toute la largeur du marteau, le septième enfin braque les yeux sur le soldat sans perdre un air de sérénité. « C’est dans l’ordre des choses », semble-t-il se dire : la mort va aux fautifs comme le spectacle à la foule. La vertu passe par la dissuasion et la dissuasion par l’exemple.

Mais de quelle vertu parle-t-on?

Ils sont durs, les hommes, et durs entre eux. Leur loyauté au groupe et leurs lois opportunistes sont implacables. Nous en sommes témoins : des hommes se rassemblent autour d’un homme chargé de mettre à mort un autre homme; des Juifs chargent l’occupant romain de liquider un gêneur juif à leur place : vendetta de sépulcres blanchis. Aucune femme dans cette foule.

Les sept hommes représentés à l’envers s’ajoutent aux quatre représentés à l’endroit, ce qui fait onze, comme les onze apôtres fidèles à Jésus (le douzième, Judas, l’ayant trahi). Ce n’est pas un hasard si le peintre a pensé au chiffre onze pour représenter la foule. Car à cet instant précis, les onze apôtres ont fui.

 

Ne manquez pas la suite :
12. Jésus meurt sur la croix

 
Texte : © André-Guy Robert, 2022
Tableaux :
© Sieger Köder et ayants droit
Photos : © Sources respectives, Internet
Toute reproduction du texte sans l’autorisation de l’auteur est interdite.
Demande d’autorisation : andreguyrobert@hotmail.com

 

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