6. Véronique essuie le visage de Jésus


Table des matières

 

Partie 1. Sieger Köder : une découverte, une démarche

Partie 2. Le Chemin de croix, selon Sieger Köder

  1. Jésus est condamné à mort
  2. Jésus est chargé de sa croix
  3. Jésus tombe pour la première fois
  4. Jésus rencontre sa mère
  5. Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix
  6. Véronique essuie le visage de Jésus
  7. Jésus tombe pour la deuxième fois
  8. Jésus rencontre les femmes de Jérusalem
  9. Jésus tombe pour la troisième fois
  10. Jésus est dépouillé de ses vêtements
  11. Jésus est cloué sur la croix
  12. Jésus meurt sur la croix
  13. a) Jésus est détaché de la croix…
    b) … et son corps est rendu à sa mère
  14. Le corps de Jésus est mis au tombeau

 

Le Chemin de croix, selon Sieger Köder

 

6. Véronique essuie le visage de Jésus

 

« [Véronique] n’apparaît pas dans le Nouveau Testament, mais à partir du IVe siècle, le nom de Bérénice (“Βερενίκη”, Berenikê, mot macédonien signifiant “qui porte la victoire”, latinisé en “Véronique”) est donné à la femme anonyme qui, dans les évangiles synoptiques souffre d’hémorragies chroniques avant d’être guérie miraculeusement en touchant le vêtement que porte Jésus » (Wikipédia, Véronique_[christianisme]).

Selon la version la plus connue de histoire du calvaire (« qui se répand entre les VIIe et VIIIe siècle »), Véronique (d’abord appelée Bérénice) était « une femme pieuse de Jérusalem qui, poussée par la compassion lorsque Jésus-Christ portait sa croix au Golgotha, lui donna son voile pour qu’il pût essuyer son front. Jésus accepta et, après s’en être servi, le lui rendit avec l’image de son visage qui s’y était miraculeusement imprimée » (ibid.).

Source : https://www.alamy.com/veronica-wipes-the-face-of-jesus-6th-stations-of-the-cross-by-sieger-koder-in-st-stephens-church-in-wasseralfingen-germany-image448530377.html?pv=1&stamp=2&imageid=1C5B26F0-D7C1-4806-BF3F-6F563544E732&p=1821744&n=0&orientation=0&pn=1&searchtype=0&IsFromSearch=1&srch=foo%3dbar%26st%3d0%26pn%3d1%26ps%3d100%26sortby%3d2%26resultview%3dsortbyPopular%26npgs%3d0%26qt%3dsaint%2520veronica%2520wipes%2520face%2520jesus%26qt_raw%3dsaint%2520veronica%2520wipes%2520face%2520jesus%26lic%3d3%26mr%3d0%26pr%3d0%26ot%3d0%26creative%3d%26ag%3d0%26hc%3d0%26pc%3d%26blackwhite%3d%26cutout%3d%26tbar%3d1%26et%3d0x000000000000000000000%26vp%3d0%26loc%3d0%26imgt%3d0%26dtfr%3d%26dtto%3d%26size%3d0xFF%26archive%3d1%26groupid%3d%26pseudoid%3d%26a%3d%26cdid%3d%26cdsrt%3d%26name%3d%26qn%3d%26apalib%3d%26apalic%3d%26lightbox%3d%26gname%3d%26gtype%3d%26xstx%3d0%26simid%3d%26saveQry%3d%26editorial%3d1%26nu%3d%26t%3d%26edoptin%3d%26customgeoip%3d%26cap%3d1%26cbstore%3d1%26vd%3d0%26lb%3d%26fi%3d2%26edrf%3d0%26ispremium%3d1%26flip%3d0%26pl%3d

 

Comme Jésus a étanché les hémorragies d’une femme qui s’appellerait Véronique, Véronique essuie le visage de Jésus. Réciprocité, encore.

Le voile que les femmes du Proche-Orient interposent entre l’intimité de leur visage et l’audace des hommes, Jésus le transfigure par son sang, révélateur suprême. Véronique, « qui porte la victoire » (tel est son nom), brandit l’étendard du don de soi. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie… »
 

Ouvrir l’image dans un nouvel onglet pour placer le commentaire en parallèle.

 

Le bol

Dans sa représentation de cet épisode, Sieger Köder ajoute un élément inattendu : un bol fissuré fermement tenu (écarté?) par deux mains noires aux reflets bleuâtres (!).

Le bol fait penser à l’institution de l’eucharistie par Jésus. Le soir de la dernière Cène, en effet, « il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna [à ses disciples] en disant : “Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés” » (TOB, Mt 26, 27-28).

Le même soir, Jésus avait d’abord rompu le pain devant ses disciples en le présentant comme son propre corps (Mt 26, 26). Le lendemain de la dernière Cène, son vrai corps, lui aussi rompu, verse le sang comme ce bol, qui a peut-être contenu celui-ci et que des mains violentes ont délibérément cassé, comme elles ont cassé Jésus. Le sang dont le maître parlait la veille, il s’est écoulé par la brèche.

 

Le voile

À la vue du tableau de Köder, les auteurs d’apocryphes orientaux, friands de merveilles, auraient pu imaginer cette fable : plutôt que de s’écouler par la brèche, le sang du Christ a jailli du bol comme une fontaine pour aller frapper son image sur le voile tendu par Véronique. Image du Sang rédempteur, à l’effigie de Jésus! Image de la Sainte Face faisant de Véronique, le porte-étendard de la chrétienté!

Le voile qui, au Proche-Orient, sépare le visage de la femme du regard des hommes prend ici une dimension symbolique que les officiels passeront sous silence : côté femme, son souffle chaud; côté hommes, la face du Christ marquée au sang rouge. Le voile qui sépare les sexes se couvre des deux côtés d’une intimité troublante : le souffle, le sang. Instance de réparation, Jésus fait d’un voile de séparation une interface avant la lettre; littéralement : une inter-faces. La vie et le don de soi seront désormais indissolublement liés au voile des traditions, liés comme un couple, comme le sang au corps et le pain au vin. Véronique respirait derrière; Jésus saigne devant. Quelle intimité!

Sur le chemin écrasé de soleil, aucun homme n’est venu proposer à Jésus d’essuyer son visage. Jésus ira donc à une femme. Véronique, dont les hommes ne connaissaient du visage que le voile, reçoit du maître condamné à mort, un signe d’autorité qui la transfigure : le visage de Jésus. Lorsqu’elle le tend, on ne voit plus le voile, et encore moins la femme; on voit le Christ.

Jésus appose son visage comme un sceau sur celui de toute personne qui éprouve de la compassion. Premier exemple de ce prodige : Véronique. La Face de Jésus lui colle au visage. Image du don en marche, ce détail (le visage) préfigure l’image du don total (le corps entier) dont le suaire gardera l’empreinte. Dans le bain de sang du révélateur Jésus, l’image de la transcendance apparaît sur le voile et le suaire photosensibles, et s’y fixe. Merveille de chambre noire.

La tradition souhaite que la Véronique qui souffrait d’hémorragies chroniques soit la même qui offre à Jésus d’éponger son visage. Elles ont en commun d’être porteuses de sang : sang des règles, sang des blessures. C’est une affaire de réciprocité : Jésus a fait que le sang arrête de couler; Véronique voudrait qu’on arrête de verser le sang. En acceptant de s’éponger le visage au voile de Véronique, Jésus éponge aussi les dettes.

On retrouvera la voilette qui couvre le front et les yeux de Véronique à la station 13 a).

 

Les mains

Quant aux mains qui tiennent le bol du sacrifice, on les voit mal sur cette image numérique. Il me faudrait examiner de près la toile originale pour valider ce que Sieger Köder a représenté exactement. La couleur suspecte de ces mains me fait penser à celle des cadavres bleuis par la putréfaction. Le bol du sacrifice serait-il tenu par la Mort? On peut l’imaginer. Mais alors, comment expliquer les bandelettes, représentées en bas à droite de ce tableau, qui annoncent apparemment le bras lié de bandelettes que Köder a peint à la station 13 a), en bas à droite également?

« Voyez et croyez », semble nous dire Véronique en exposant ce voile de ses mains travailleuses, habituées à tenir du linge pour le laver. Ses yeux silencieux, sans voix, dirigés vers nous qui les regardons, ne nous regardent pas directement. Une voilette les brouille de ses motifs décoratifs, notes de musique ou signes kabbalistiques qu’il nous appartient d’interpréter. Ses yeux ouverts, en contrepoint des yeux fermés de Jésus, dégagent un front derrière lequel roulent, inexprimées, les pensées d’une femme.

 

Ne manquez pas la suite :
7. Jésus tombe pour la deuxième fois

 
Texte : © André-Guy Robert, 2022
Tableaux :
© Sieger Köder et ayants droit
Photos : © Sources respectives, Internet
Toute reproduction du texte sans l’autorisation de l’auteur est interdite.
Demande d’autorisation : andreguyrobert@hotmail.com

 

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