8. Jésus rencontre les femmes de Jérusalem


Table des matières

 

Partie 1. Sieger Köder : une découverte, une démarche

Partie 2. Le Chemin de croix, selon Sieger Köder

  1. Jésus est condamné à mort
  2. Jésus est chargé de sa croix
  3. Jésus tombe pour la première fois
  4. Jésus rencontre sa mère
  5. Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix
  6. Véronique essuie le visage de Jésus
  7. Jésus tombe pour la deuxième fois
  8. Jésus rencontre les femmes de Jérusalem
  9. Jésus tombe pour la troisième fois
  10. Jésus est dépouillé de ses vêtements
  11. Jésus est cloué sur la croix
  12. Jésus meurt sur la croix
  13. a) Jésus est détaché de la croix…
    b) … et son corps est rendu à sa mère
  14. Le corps de Jésus est mis au tombeau

 

Le Chemin de croix, selon Sieger Köder

 

8. Jésus rencontre
les femmes de Jérusalem

 

Une grande masse du peuple le suivait,
ainsi que des femmes qui se frappaient
la poitrine et se lamentaient sur lui.
Mais se retournant vers elles, Jésus dit :
« Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi. »
Lc 23, 27-28

Source : https://www.alamyimages.fr/jesus-rencontre-les-filles-de-jerusalem-8eme-stations-de-la-croix-par-sieger-koder-dans-l-eglise-saint-etienne-a-wasseralfingen-allemagne-image350594824.html

 

À en croire les titres des stations du Chemin de croix, Jésus fait seulement deux rencontres : sa mère (quatrième station) et les femmes de Jérusalem (huitième), ce qui souligne l’importance des femmes, à la fois pour Jésus et la tradition.

D’aucuns voudront ajouter Véronique (septième station), une autre femme. Quant à Simon de Cyrène (cinquième station), le peintre considère sa rencontre aussi importante que les autres. Il fait de cet homme en effet un symbole de fraternité tout à fait inédit.

Sieger Köder évite encore les poncifs. Il actualise et élargit le thème imposé en remplaçant « les femmes de Jérusalem » du temps de Jésus par des Juives durant le régime nazi, des Palestiniennes sous occupation israélienne, des Cambodgiennes sous les Khmers rouges et des Africaines du Sahel durant la famine, le tout sous le signe des barbelés… En peignant Jésus de dos, Köder oblige le spectateur à faire face aux femmes et aux enfants, victimes collatérales des conflits.

 

Ouvrir l’image dans un nouvel onglet pour placer le commentaire en parallèle.

 

« Le peuple le suivait », écrit Luc, mais Köder nous montre les femmes de face, face à Jésus, qu’il nous montre de dos. Est-ce que nous aurions suivi Jésus sans le savoir? Ferions-nous partie du peuple qui le suivait? Encore une fois, le peintre inclut le spectateur dans sa vision.

Mais il faut continuer de lire : « se retournant » vers les femmes, a écrit Luc. Voilà l’instant qu’a peint Sieger Köder, l’instant où Jésus se retourne et dit aux femmes « qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui » : « Ne pleurez pas sur moi; pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants » (Lc 23, 28). Car le Christ, qui connaît l’avenir, sait qu’elle va se réaliser, la malédiction que la foule, excitée par les grands prêtres, a imprudemment lancée contre elle-même plus tôt : « Que son sang [celui de Jésus] soit sur nous et sur nos enfants » (Mt 27, 25). Sieger Köder donne, dans la partie inférieure de son tableau, quatre illustrations montrant que la prophétie de Jésus s’est réalisée.

Examinons le tableau. On voit tout de suite que les bras de Jésus divisent l’image horizontalement en deux moitiés égales : le haut, le bas.

 

La moitié du haut

Dans la moitié du haut, trois éléments :

  1. Un nuage étrange comportant trois renflements (la Trinité?) dont le centre plus clair semble sur le point de s’ouvrir, comme au baptême de Jésus, pour faire entendre la mystérieuse voix venue des cieux : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection » (Mt 3, 17), « écoutez-le »;
  2. La poutre, toujours en mouvement, donc en équilibre précaire;
  3. Son assise : la nuque et les épaules de Jésus, de même que ses bras, rejetés en arrière, et qui retiennent la charge fermement. C’est dans cette position inconfortable que Jésus prophétise des drames vécus au XXsiècle et que Sieger Köder représente en dessous.

 

La moitié du bas

Dans la moitié du bas : trois groupes de mère à l’enfant et un quatrième, en bas à gauche, composé de deux femmes et d’un homme (ou d’un enfant) évoquant une foule. Comme Pilate coiffera la croix de Jésus d’une inscription — « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » (Mt 27, 37) —, Sieger Köder coiffe les quatre groupes de deux pages blanches (celles de l’Histoire?) sur lesquelles court une écriture manuscrite, mince comme un électrocardiogramme (ordre manuscrit? journal de camp?). Cette écriture cursive, bien sûr, en cache une autre : celle des fils barbelés.

L’idée des camps, des ghettos, se confirme dans les deux groupes représentés au premier plan, en bas.

Le premier groupe, en bas à gauche, semble donner raison à la prophétie de Jésus. Voici trois représentants modernes du peuple juif (on les reconnaît aux étoiles jaunes) qui, même s’ils n’ont rien à voir avec les grands prêtres ayant fomenté la mort de Jésus, seront ghettoïsés par les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale, avant d’être déportés dans les camps de la mort. Köder s’avance ici en terrain mou : il est Allemand. Rappelons-nous cependant qu’il n’a pas fait la guerre : il avait 14 ans en 1939. Il appartient à la génération suivante. Il a donc le recul nécessaire pour se poser en témoin de l’Histoire. En tant que chrétien (et prêtre depuis 1971), il se montre particulièrement sensible aux injustices dans le monde.

À preuve, en bas à droite, et sur le même avant-plan, Sieger Köder ose coiffer d’un keffieh une mère apparemment réduite à la mendicité (son enfant tient une sébile). Est-ce que Sieger Köder a voulu établir un parallèle entre le sort des Juifs spoliés de leurs biens et ghettoïsés par les nazis et celui des Palestiniens, illégalement spoliés de leurs terres et ghettoïsés par l’occupant israélien? La question se pose.

Une source allemande date ce tableau de 1987, ce qui nous aide à déduire à quoi Sieger Köder a voulu faire référence en représentant les deux mères à l’enfant qu’il a placées ici au second plan.

D’après la couleur de leur peau, à gauche, on reconnaît des Asiatiques; à droite, des Africains. L’Asie et l’Afrique ont connu deux catastrophes ethniques majeures durant les années 1970. À en juger par la petite taille du bébé sur lequel se penche l’Africaine aux bras maigres, le peintre a sans doute voulu évoquer la famine qui a sévi au Sahel au début des années 1970. Du côté asiatique, le Cambodge a connu un génocide sous le régime khmer rouge durant la seconde moitié de la même décennie. Ce ne serait pas un hasard si le peintre avait voulu évoquer ces deux tragédies, encore fraîches à sa mémoire, et qui, pour nous, en évoquent plusieurs d’autres.

Parmi les quatre groupes de figures représentées ici, le groupe africain est le seul dont le regard n’est pas tourné vers Jésus. Le seul qui n’en a peut-être pas la force. Le peintre a choisi le bleu pour suggérer la mort imminente du bébé et de sa mère (pensons aux mains noires aux reflets bleuâtres qui annonçaient la mort de Jésus à la sixième station).

Un dernier mot sur cette image qui m’en a déjà inspiré beaucoup : la moitié inférieure du tableau s’inscrit dans l’immanence, la supérieure, dans la transcendance. Entre les deux, la poutre que tient Dieu dans son incarnation figure la marche ou le seuil à franchir pour passer du profane, en bas, et au sacré, au-dessus.

Et puis encore ce détail : Sieger Köder a voulu que la nuque de Jésus soit horizontale, étroite et claire comme pour répondre à la clarté qui fend le nuage, de l’autre côté de la poutre. Signe que le Père et le Fils ont quelque chose à dire aux Hommes, et d’une seule voix.

 

Ne manquez pas la suite :
9. Jésus tombe pour la troisième fois

 
Texte : © André-Guy Robert, 2022
Tableaux :
© Sieger Köder et ayants droit
Photos : © Sources respectives, Internet
Toute reproduction du texte sans l’autorisation de l’auteur est interdite.
Demande d’autorisation : andreguyrobert@hotmail.com

 

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