DUSAPIN, Pascal [1955]
- Sur YouTube : Aufgang, concerto pour violon et orchestre [2011, 56 ans], avec Renaud Capuçon au violon et l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la direction de Myung-Whun Chung. Enregistré le 26 janvier 2015 à la Philharmonie de Paris [34 min 12 s]
- En CD : Renaud Capuçon, violoniste, interprète Gedicht des Malers de Wolfgang Rihm (1), Aufgang, concerto pour violon et orchestre, de Pascal Dusapin (2) et Jeux d’eau pour violon et orchestre de Bruno Mantovani (3). Premières mondiales. Wiener Symphoniker (1), Orchestre de l’opéra national de Paris (3) : Philippe Jordan, chef; Orchestre Philharmonique de Radio-France (2) : Myung-Whun Chung, chef. 2016. (Erato, 2016, 0825646026876)
Après Vivaldi, Bach, Mozart, Beethoven, Paganini, Mendelssohn, Brahms, Tchaïkovski, Sibelius, Bruch, Bartók, Prokofiev, Britten et Chostakovitch, est-il encore possible pour un compositeur d’apporter quelque chose de notable au répertoire des concertos pour violon? La réponse est oui, et elle nous est donnée par Pascal Dusapin (Français né en 1955).
Dans son concerto pour violon et orchestre, Aufgang (2011), Pascal Dusapin nous transporte dans le monde sombre et vibrant d’une méditation sur l’aspiration de l’être à s’élever au-dessus de sa condition.
Il explique : « en composant, il arrive que nous soyons si accablés par notre propre obscurité que le combat avec la matière musicale se confond avec la quête de la moindre lueur, du moindre scintillement » (livret, p. 9). Cette « Aufgang » (« Élévation »), est en réalité une « Aufgang des Lichts », une « LEVÉE DE LUMIÈRE ».
Vous la comprendrez aisément ici en écoutant cette interprétation à la fois précise et ample — d’une transparence et d’une élégance typiquement françaises — admirablement mise en images : https://youtu.be/lY0WEYusCo4.
Prêtez particulièrement attention aux timbres et à l’orchestration. La harpe, les flûtes traversières, les violoncelles, les trompettes bouchés, le bois du xylophone, les barres sonores, les disques métalliques… toute la variété des instruments de la forêt symphonique observe l’oiseau-violon voler de branche en branche. Les êtres embusqués dans la pénombre participent à son essor; le concert de leurs voix résonne dans le sous-bois. Toute feuille cherche la lumière et se hisse vers les hauteurs; aucune n’aspirait à devenir une aile. L’exemple de l’oiseau-violon enseigne à chaque instrument de lumière une possibilité inimaginable jusque là. Son ascension dans les hauteurs devient celle de la forêt même, une œuvre collective, une complicité de toute la création.
2019-08-06
Je découvre que le chef qui dirigeait Su for sheng and orchestra de Unsuk Chin (autre coup de cœur) est le même Myung[-]Whun Chun [ou Chung Myung-whun, selon Wikipédia] qui dirige cette interprétation inspirée de l’Aufgang de Pascal Dusapin. Même atmosphère de déambulation solitaire dans un rêve obstiné.
Le violon n’est nul autre que l’auditeur lui-même, et l’orchestre, le décor sombre et mystérieux dans lequel il s’aventure prudemment.
Plongé dans le noir, le rêveur écarquille les yeux : il voit autour de lui des lumières phosphorescentes, fines, multicolores, qui oscillent lentement, se développent en douceur, tournent sur elles-mêmes, s’étirent à sa rencontre et se transforment en fleurs étranges. Ces clartés semblent l’observer avec curiosité tout en se tenant à l’écart. Quand il avance la main vers elles, il les voit s’écarter avec souplesse.
Il risque d’autres pas. C’est toujours la nuit, une nuit de sortilèges où il devine qu’il n’a rien à craindre de cette flore luxuriante.
Je pense aux merveilles végétales que les éclaireurs découvrent au début du film Annihilation d’Alex Garland. Chez Dusapin, le mystère ne recèle pas de menace mortelle. Nous restons sous le charme d’une contrée qui révèle une fascination montante. D’où le titre allemand, Aufgang, « lever ».
Il n’y a qu’une façon d’aller au bout de cette fascination : réentendre Aufgang encore et encore. Et si on parvient à s’en extraire, découvrir les autres œuvres de Pascal Dusapin. Hinterland, hapax, par exemple, une autre merveille hypnotique.
Dès le début, je retombe tête première dans ma fascination, et je m’abandonne. Me voici dans la tête de Pascal Dusapin. Je suis Pascal Dusapin. Je comprends que c’est ainsi que j’entends le monde. Exit les mots. Il n’y a que la musique pour dire cela exactement. J’écoute, j’écoute.
2019-03-29
- Sur YouTube : Sept Solos / Seven Solos [pour orchestre] [1992-2009, 37-54 ans], Orchestre philharmonique de Liège; Pascal Rophé, chef [1 h 19 min 37 s].
- En CD : 7 solos pour orchestre / Seven Solos for Orchestra: Cycle of the Seven Forms, Orchestre philharmonique de Liège Wallonie Bruxelles; Pascal Rophé, chef; Naïve, 2010, 2 CD (MO 782180) [1 h 31 min]
L’enregistrement de la version CD me paraît avoir beaucoup plus de présence que la version trouvée sur YouTube. Il s’agit pourtant du même orchestre et du même chef. J’écris donc mes commentaires en écoutant le CD avec un casque d’écoute… Si vous le pouvez, lisez ce qui suit en faisant de même!
Le prolifique Pascal Dusapin (102 œuvres en 46 ans [1976-2022], selon Wikipédia) accorde la place d’honneur au chiffre sept : Aks pour sept instrumentistes (1987), Sept études pour piano (1999-2001), Sept solos pour orchestre (1992-2009), Microgrammes, sept pièces pour trio à cordes (2010), Il Viaggio, Dante, opéra en sept tableaux (2022). Vaste projet à long terme, les Sept solos constituent plus qu’une somme. C’est une fresque-bilan, une œuvre panoramique, à mon sens, majeure.
L’attaque a du caractère. On comprend tout de suite que le compositeur a divisé son orchestre en trois « partenaires » quasi égaux : les cuivres, les percussions et les cordes. Les cuivres (acérés ou sombres), que renforcent les percussions, donnent du relief aux cordes. Ensemble, les timbres variés composent une masse polymorphe synchrone qui ne manque ni d’allant ni de mordant. Certains diront que cette musique n’est pas de tout repos!
Si vous connaissez des œuvres orchestrales de Valentin Silvestrov ou de Claude Vivier, vous trouverez chez Pascal Dusapin des paysages inédits dont la texture vous paraîtra néanmoins familière.
En quelques mots, voici ce que me suggère (très subjectivement!) chaque solo :
- Solo no1, « Go » : Tumulte
- Solo no2, « Extenso » : Haute mer (houle)
- Solo no3, « Apex » : Maison hantée (poltergeist)
- Solo no4, « Clam » : Volets, fenêtres, rideaux, tulle
- Solo no5, « Exeo » : Cheminée volcanique sous-marine
- Solo no6, « Reverso » : Pulsion (gong)
- Solo no7, « Uncut » : Après…
Cette musique est semblable aux nuages : on peut y reconnaître des silhouettes… Elle vous en suggérera sans doute à vous aussi. Cela dit, ne nous méprenons pas : Pascal Dusapin n’écrit pas de la musique à programme, bien au contraire. Son travail porte essentiellement sur la forme.
Ce sont des partitions pliées, repliées, découpées, bricolées, pareilles à de l’origami. Laissons-les révéler peu à peu leurs structures tridimentionnelles, et suivons en souplesse le lent travelling qui nous en fait faire le tour. Ces mystérieuses images sonores qui s’animent dans notre tête rappellent ces images fractales que de savants calculs font bouger à l’écran sous nos yeux. Images sonores et images-images : autant de rendus qu’on ne trouve pas dans la nature. Leurs créateurs les ont dépouillées des apparences particulières qui en encombraient le chiffre. Des roseaux, des efflorescences, des veines de marbre, des cassures et des croisements… en voici l’ADN.
Je veux que vous lisiez Pascal Dusapin. C’est un compositeur qui a un don : il manie les mots avec autant d’aisance et d’acuité que les sons. Lisez « Le cycle des sept formes » (livret du CD accompagnant les Sept solos pour orchestre) et constatez avec moi qu’il parle de son œuvre avec la précision d’un écrivain de talent.
2024-01-22
© André-Guy Robert, 2019
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