Le bourreau consolateur et la rémission des péchés

 

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Photo : Amir Pourmand, Moments Before the Hanging. Téhéran (Iran), le 20 janvier 2013.

De toutes les photos vues au World Press Photo, celle qui me poursuit et me chagrine le plus est cette photo des condamnés à mort et des bourreaux. L’un des deux réprouvés appuie sa tête contre l’épaule du bourreau cagoulé, tandis que celui-ci l’étreint spontanément de sa main gauche. La légende nous apprend que, peu après ce moment d’intimité, les deux condamnés furent exécutés.

À son tour condamné, le spectateur doit assister, impuissant, à l’instant qui précède l’irrémédiable dépossession, instant désormais éternel où les victimes désignées ont pour toute possession la certitude de tout perdre. À gauche sur la photo, le bourreau semble compatir : il a les yeux fermés. Il connaît sans doute la détresse des damnés et la résignation de quelques-uns; il les accepte. Il les accepte comme le gardien de la Loi, chez Kafka, accepte les faveurs sans se laisser corrompre.

Un sort inéluctable, on le sait, se ramène souvent à une affaire de places, à la limite interchangeables.

Les hommes sous la cagoule et les hommes démasqués ne sont rien en eux-mêmes. Ce sont les incarnations de rôles distribués pour la circonstance. Chacun figure un pays tiers où s’affrontent des superpuissances : le pour, le contre. Dans cette scène, le tragique cerne les acteurs, mais ce n’est pas le sujet de la scène. Le sujet dépasse la représentation. Le sujet, c’est le crime et la justice. C’est que justice soit faite. Indépendamment des hommes, victimes collatérales.

En dehors du christianisme, les bourreaux ne sont guère que les instruments d’une justice qui assassine les criminels pour tuer les crimes. Justice archaïque, antérieure à celle qui réprime le crime sans en tuer le représentant.

Voilà pourquoi la rémission des péchés est une trouvaille révolutionnaire, un saut qualitatif dans l’histoire de l’humanité. Dans ce récit, on n’a plus besoin de tuer le pécheur pour effacer sa faute. C’est le péché qui meurt en lui par la médiation d’une seule victime, le Christ, dont le sacrifice résout une fois pour toutes l’impasse bourreau-victime. Dès lors que les péchés sont remis, les pécheurs pardonnés ont la vie sauve. C’est ce qu’on appelle la Rédemption. Quelle « bonne nouvelle »!

Cette trouvaille inouïe, cette incursion du transcendant dans l’immanent, implique bien davantage qu’un saut qualitatif pour l’âme. C’est une incursion du sacré dans le profane. Si le pécheur n’est plus réductible à son péché, le criminel n’est plus réductible à son crime ni le malade, à sa maladie. Il s’ensuit que condamner à mort ou frapper d’anathème deviennent impensables. Des actes qui ne servent plus la justice.

Pourquoi alors la peine de mort et l’anathème s’avèrent-ils d’actualité? C’est peut-être qu’il n’est pas encore universellement admis que le pécheur n’est pas le péché.

 

2014-09-23
2018-10-23 et 24

 

© André-Guy Robert, 2014, 2018
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