Piano piano

Écouter le piano sonore de Stephen Coombs jouer la musique brillante de Sergei Bortkiewicz, c’est constater à quel point le piano de ma mère est aujourd’hui silencieux. Celui-ci ne résonne plus de sa présence; il ne résonnera plus jamais comme lorsque, debout à côté du vénérable instrument (debout lui aussi), j’écoutais dans ma tendre adolescence le son puissant que les doigts de maman savaient produire en parcourant les touches d’ivoire, alignées sous le majestueux empan de ses bras ouverts.

Il y avait, derrière le pupitre où s’étalait une partition, ce que ma mère appelait la table de résonance. C’est là que résidait la voix qui, au contact des touches, révélait celle que je portais en moi et qui ne demandait qu’à répondre. Seuls des doigts exercés pouvaient, par un tour de clé (de sol ou de ciel), déverrouiller mon cœur. Cette capacité de chaman qui était celle de ma mère à m’ensorceler par l’exécution de formules occultes, inscrites en pattes de mouche sur des portées, demeure pour moi, qui m’y suis pourtant essayé, un mystère qui confine au miracle.

Un piano qui ne chante pas parce qu’on n’en joue plus est le mutisme le plus discret et le plus triste qu’on puisse imaginer. Il fait penser à la dépouille d’un grand sage que la mort a réduit au silence. On ne se lasse pas de rester sans bouger dans l’attente qu’un écho errant nous fasse entrer en résonance.

 

2018-05-17

 

© André-Guy Robert, 2018
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