HOLST, Gustav [1874-1934, 60 ans]
- « Mars » [de 0:15 à 6:42], premier mouvement de The Planets, op. 32 [1914-1917, 22-25 ans], par le Boston Symphony Orchestra, dir. William Steinberg, Deutsche Grammophon, 1971 (463 627-2) [6 min 27 s]
À l’adolescence, « Mars » a été mon rock à moi. J’aimais particulièrement l’élan combatif, océanique, de cette irrésistible force motrice. J’imaginais des plans courts, saccadés, montrant d’immenses cavalcades, et je les entrecoupais de gros plans filmés au ralenti de la musculature luisante des chevaux lancés au galop. Et puis, sans transition, c’était, en haute mer, le soulèvement formidable de la surface de l’eau quand se forment des vagues géantes pareilles à des monstres de la préhistoire… et que tout l’horizon monte, monte et nous encercle… avant de s’effondrer dans un fa qui dure et dure pendant qu’on retient son souffle! Parfois, à l’heure du midi, quand je venais manger à la maison et que j’étais seul, j’écoutais « Mars » à fort volume, et puis je retournais à l’école, énergisé.
Le dieu Mars a également inspiré John Coltrane [1926-1967, 41 ans]. La première plage de l’album posthume Interstellar Space, intitulée « Mars » [10 min 57 s; 1967, 41 ans], est une sorte de testament free jazz désespéré. Il faut être en bonne santé pour écouter jusqu’au bout la plainte bouleversante de cet être souffrant. À 8:09, le saxophoniste arrête de jouer, et le batteur Rashied Ali prend la relève jusqu’à la fin du morceau : 2 min 38 s, c’est-à-dire un cinquième de la durée de la pièce! Si le solo de batterie peut s’interpréter comme la réponse du batteur au solo du saxophoniste, il peut aussi s’interpréter comme le silence de Coltrane, un silence exténué, tragique. À comparer au silence du soliste dans le Concerto pour violon no 4 de Schnittke.
Le Concerto pour violon et orchestre no 4 [1984, 50 ans] d’Alfred Schnittke [1934-1998, 64 ans] est « une tentative de produire une tension mélodique d’un son à un autre et du son au silence ». Aux deuxième et quatrième mouvements, Schnittke a poussé l’audace jusqu’à imaginer une « cadenza visuale », c’est-à-dire que le soliste s’aventure « derrière le rideau hypnotisant de la musique » vers un « au-delà muet » (cf. le livret). Sur scène, le violoniste cesse peu à peu de jouer… tout en faisant comme s’il jouait encore. Voir l’interprétation de Guidon Kremer au violon [11:22-12:01 et 31:39-32:16], qui respecte cette intention. Jeu, malheureusement, qui ne doit pas être facile à comprendre pour le spectateur du balcon. Les curieux pourront comparer le mime convaincu de Kremer avec l’étrange évitement de Vadim Gluzman [11:20-12:01 et 32:04-32:45]. Dans les deux cas, le monteur a montré son ignorance des « cadenza visuale » en nous les rendant quasi invisibles (Kremer) et tout à fait invisibles (Gluzman). Il aurait fallu au contraire que le silence du soliste évoque avec force le silence auquel on réduit les dissidents, et que le jeu contrefait rappelle la servilité à laquelle on les condamne.
Au disque, ces gestes de mime tournent au tragique : on entend le souffle de quelqu’un qui, semblant manquer d’air, tente désespérément de respirer [CD 2, plage 5, 5:09-5:38, et plage 7, 9:50-10:02]. On en a la chair de poule.
Voici la référence de cette version : Alfred Schnittke, Complete Violin Concertos (2 CD), par Guidon Kremer, au violon, et la Philharmonia Orchestra sous la direction de Christoph Eschenbach; Teldec, 3984-26866-2.
On se demande si Schnittke n’aurait pas mieux fait de penser à des « cadenza vocale ».
2018-07-24
© André-Guy Robert, 2018
Toute reproduction sans l’autorisation préalable de l’auteur est interdite.
Demande d’autorisation : andreguyrobert@hotmail.com
Retour à la page https://andreguyrobert.com/les-carnets-dandre-guy/
> Musique > Coups de cœur musicaux