« La boîte à surprise »

Ce qui me traversait l’esprit m’a toujours tenu occupé. Par exemple, quand j’étais tout petit, il me venait des idées pour chanter. Sous le coup de l’inspiration, je grimpais sur le tabouret de la cuisine, et là, je me mettais à chanter des chansons dont j’inventais à mesure paroles et musique! Ça sortait tout seul, comme le chant sort de l’oiseau.

Muette d’admiration pour sa propre œuvre, ma mère écoutait son canari, convaincue d’avoir mis au monde le plus précoce des chansonniers.

De mon côté, j’étais souvent entraîné par d’autres idées. Un après-midi, j’ai voulu montrer à mes amis de l’école à quel point j’étais bon pour courir en rond à toute vitesse. Sauf que je n’avais pas tenu compte la mobilité du gravier. Au lieu de provoquer l’étonnement de mes spectateurs et leur admiration, je les ai fait rire en me râpant les genoux en même temps que l’orgueil. Ma discrétion doit remonter à ce jour-là, et peut-être aussi mon intérêt pour la physique des particules.

Au mois de janvier 1957 alors que j’étais en cours, une « madame » de l’école vint me chercher dans ma classe de première année D et m’a demandé de la suivre. Mystère. Avais-je fait un mauvais coup sans m’en rendre compte? Apparemment non, mais son silence m’inquiétait. Nous voici parcourant les longs couloirs, juste elle et moi, tandis que tout le monde est en classe. Elle me fait entrer dans un local où se trouve… ma mère! « Maman? Qu’est-ce que vous faites là? » (J’ai toujours vouvoyé mes parents.)

« Je viens te chercher pour aller à Radio-Canada. Tu vas passer à La boîte à surprise.

— Ah oui? Pourquoi?

— Pour chanter! »

 

* * *

 

C’est l’hiver, il neige. Nous sommes dans un taxi (je ne prends jamais de taxis). Nous allons au centre-ville (je ne vais jamais au centre-ville). Nous arrêtons devant un édifice austère, tout gris, celui de la Canadian Broadcasting Corporation. « Est-ce qu’on est rendus? »

Je me laisse conduire comme une feuille au vent par des couloirs sonores très hauts. Autour de nous, j’entends parler une langue que je ne connais pas. De l’anglais, je m’en douterai plus tard. Heureusement que maman est là! J’ai six ans et demi.

Je me retrouve dans une pièce toute petite pleine de vêtements suspendus. On me fait enfiler un tablier, je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour faire du bricolage?

Le studio est minuscule. À la télé, ça paraît si grand! Ah, c’est ça, les caméras? On dirait des éléphants tellement c’est gros. Il y en a deux, et derrière chacune, un homme, dans l’ombre, qui porte un casque d’écoute. Devant, je reconnais Monsieur Surprise. On me place avec les autres enfants à côté de la magicienne. Nous sommes très proches les uns des autres.

1957-01-15 Monsieur Surprise (Pierre Thériault), Guy etThérèse Cadorette
Monsieur Surprise, les enfants, la magicienne et la boule de cristal.

Quelqu’un me dit à l’oreille de penser à une chanson parce qu’on va me demander de chanter tout à l’heure. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait que je me prépare : je suis déjà prêt!

L’émission commence. Quand je n’y pensais plus, on me demande de chanter. J’attrape une idée, et pousse ma petite chanson. On me fait bientôt signe d’arrêter. Bizarre. Je m’arrange pour ne pas finir une patte en l’air. J’apprends ainsi que c’est long, attendre son tour, et que c’est court quand c’est son tour!

1957-01-15 Guy, 6 ans à la télé (La boîte à surprises), et Madeleine Harbour
Le petit chansonnier et Madeleine Arbour, le 15 janvier 1957, à La boîte à surprise.

Nous sortons du studio avec un cadeau : une soucoupe volante pour glisser sur la neige. Je trouve ça étrange une soucoupe volante qui ne volera pas. Aussi étrange que de passer à la télé.

Celle qui vole, c’est ma mère. Elle est aux anges, elle bat des ailes. Moi, je ne sais pas.

 

2021-06-18

 

© André-Guy Robert, 2021
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Une réflexion sur “« La boîte à surprise »

  1. Sympa, cette histoire de ton enfance et ton expérience de la télévision. (Moi aussi, mais à 12 ans pour une émission d’art pour les enfants… j’ai créé une carte de Noel… Je me souviens de la gross chaleur des lumières et le soulagement des ombres en partant du studio de télé. et une épiphanie que tout est possible… une prémonition que me semblait étrange : que mon destin sortira, à la longue, des ondes de l’anonymité).

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